CitationIl faudra déployer toute la puissance du dragon pour espérer sortir du cercle déflationniste dans lequel la Chine s’enferme, ainsi que toute sa créativité pour donner les bonnes cartes de politique publique à des autorités qui s’entêtent à reproduire les mêmes politiques, aujourd’hui inadaptées au contexte économique chinois. Alors que la Chine s’était distinguée par sa capacité à mettre en œuvre et planifier, ce qui avait assuré son succès économique et sa croissance des vingt dernières années, la perte d’efficacité sur ce plan est inquiétante, d’autant plus qu’elle se traduit par un redéploiement de la puissance publique dans l’économie, avec les décisions arbitraires que cette présence peut impliquer.
De la semaine dernière, il faudra retenir deux chiffres côté Chine : celui de la croissance 2023, 5,2%, légèrement au-dessus de la cible officielle de 5% ; et surtout celui de la démographie. En 2023, la Chine a perdu deux millions d’habitants.
2023 : les stigmates du Covid, mais pas uniquement
2022 fut une année de confinements et de restrictions sanitaires ; 2023 devait être l’année du rebond de l’activité. Mais, après un premier trimestre très solide, marqué notamment par une reprise de la consommation durant la période du Nouvel An lunaire, la dynamique est vite retombée. Les comportements d’épargne développés par les ménages entre 2020 et 2022 ont perduré, motivés cette fois par des inquiétudes non pas sur leur santé, mais sur le secteur immobilier, dont la crise s’est poursuivie et intensifiée tout au long de l’année.
Le secteur immobilier, pris dans son ensemble, a représenté jusqu’à 25% de l’économie chinoise. Or, depuis janvier 2022, les principaux indicateurs de ce secteur (permis de construire, mises en chantier, transactions) n’ont pas enregistré de croissance. Si la restructuration des dettes offshore, pour la plupart libellées en dollars, a avancé, les investisseurs ayant accepté de prendre leurs pertes, la partie domestique avance beaucoup plus lentement. L’objectif des autorités est toujours de sauver les projets qui peuvent l’être mais, avec 50% des promoteurs en défaut, les chantiers se débloquent au compte-gouttes, car les repreneurs sont difficiles à trouver.
Bien que les autorités essayent de limiter la baisse des prix, afin de ne pas créer d’effets de panique auprès des ménages chinois, dont 70% du patrimoine est placé dans le secteur immobilier, les prix ont baissé de 10 à 15%, parfois plus dans les villes moyennes et périphériques.
À l’heure actuelle, la crise de confiance provoquée par la stratégie zéro-Covid, puis par les turbulences immobilières, semble difficile à enrayer. À cela s’ajoutent les doutes autour de la santé du marché du travail, en particulier pour les jeunes. Le bureau des statistiques (NBS) a publié ce mois-ci un taux de chômage pour les 16-25 ans, pour la première fois depuis juin. Ce dernier atteindrait maintenant 14,9%, contre plus de 21% pour le dernier point connu. Il exclut dorénavant les jeunes à la recherche d’un emploi à mi-temps, afin de donner une vision « plus précise » de l’état du marché du travail.
Dans ce contexte, les chiffres de l’inflation, ou plutôt de la déflation, sont inquiétants, mais pas surprenants. Cette dernière s’explique par la faiblesse générale de la demande et la baisse des prix immobiliers. L’inflation n’a pas dépassé 1% en variation sur un an depuis février 2022, et est même devenue nulle ou négative depuis juin. Or, si le reste du monde lutte toujours contre des niveaux d’inflation jugés trop élevés, la déflation n’est pas non plus une bonne nouvelle car elle diffère les décisions d’investissement et de consommation en plaçant les acteurs économiques dans une position attentiste, conduisant généralement à la récession.
Enfin, les stigmates du Covid se lisent aussi dans les chiffres de la démographie. Avec 690 000 décès de plus qu’en 2022, la Chine compte 11,1 millions de morts au total. Une partie de la surmortalité s’explique sûrement par le pic de l’épidémie connu en début 2023. Avec 9 millions de naissances, soit 500 000 de moins qu’en 2022, le solde démographique est négatif pour la deuxième année consécutive, alors même que la population indienne continue d’augmenter. À moins que l’année du dragon, qui débutera le 10 février prochain, soit synonyme d’une envolée des naissances.
2024 : l’année du dragon tiendra-t-elle ses promesses ?
Il ne faudrait pas sous-estimer son caractère auto-réalisateur, tant l’année du dragon – qui arrive tous les douze ans – est signe en Chine de succès et prospérité. Combinée à l’élément du bois, elle doit apporter croissance, créativité et renouveau.
Pour la croissance, un premier indice sera donné en mars avec l’annonce de la cible officielle, qui devrait se situer entre 4,5% (approche conservatrice) et 5% (approche plus optimiste, afin de raviver la flamme de la confiance).
Pour la créativité, cela risque d’être plus compliqué. Les autorités chinoises semblent toujours enfermées dans des politiques économiques qui ont fait leurs preuves par le passé, mais ne sont plus adaptées aux enjeux actuels. Elles ne croient toujours pas à une relance par la consommation et, faute de pouvoir soutenir l’économie à travers le secteur immobilier comme dans le passé, elles privilégient maintenant l’industrie, en particulier l’automobile, la métallurgie et les équipements électriques.
Encouragées à soutenir les entreprises de ces secteurs, les banques publiques ont largement augmenté leur production de prêts, au risque de créer de nouvelles surcapacités, comme cela avait été le cas pour l’acier ou le ciment dans les années 2010.
C’est donc au prix d’un véritable changement de paradigme que pourra se faire le renouveau de l’économie chinoise. À Davos, le Premier ministre Li Qiang a présenté l’image d’une Chine ouverte, « fermement décidée » à ouvrir son économie, à « faire tomber les restrictions dans le domaine industriel et à garantir un traitement égal aux entreprises étrangères » devant un parterre de décideurs économiques plutôt circonspects.
Naviguant entre un discours d’ouverture et de critiques vis-à-vis des pays occidentaux, auxquels la Chine reproche une politique de contrôle des investissements et des exportations de plus en plus restrictive, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies, Li Qiang n’a semble-t-il pas totalement convaincu son auditoire. Alors que les marchés sont toujours dans l’attente de nouvelles mesures d'ampleur de soutien à l’économie, les investisseurs, quant à eux, s’inquiètent de la place que prend la puissance publique dans l’économie et de ses conséquences réglementaires.
L’année 2023 aura indéniablement marqué une rupture pour l’économie chinoise. Enfin libérée de la politique zéro-Covid, si destructrice en croissance et en emplois, la réouverture de l’économie aurait dû se traduire par une reprise forte de la consommation, si entravée par les mesures sanitaires. Au lieu de cela, l’effet d’euphorie est vite retombé, rattrapé par les faiblesses structurelles chinoises. Si l’atonie de la consommation peut être en partie attribuée au Covid et aux nouvelles habitudes prises pendant cette période, les difficultés du marché immobilier traduisent un mal plus profond, depuis longtemps identifié comme un potentiel « rhinocéros gris » de l’économie chinoise. Vingt ans de développement immobilier sans encadrement et de cavalerie des promoteurs attirés par la promesse d’une hausse des prix infinie ont fini par mettre ce secteur, si intensif en croissance, à terre. Après plus d’un an d’annonces de mesures de soutien, jugées toujours trop timides, force est de constater que le marché immobilier ne donne toujours aucun signe de reprise et n’a pas encore atteint son point bas. Peut-être parce que la baisse des prix n’est pas encore assez forte pour relancer la machine, sûrement parce que l’assainissement de ce secteur prendra encore du temps.
Dans ce contexte, il faudra déployer toute la puissance du dragon pour espérer sortir du cercle déflationniste dans lequel la Chine s’enferme, ainsi que toute sa créativité pour donner les bonnes cartes de politique publique à des autorités qui s’entêtent à reproduire les mêmes politiques, aujourd’hui inadaptées au contexte économique chinois. Alors que la Chine s’était distinguée par sa capacité à mettre en œuvre et planifier, ce qui avait assuré son succès économique et sa croissance des vingt dernières années, la perte d’efficacité sur ce plan est inquiétante, d’autant plus qu’elle se traduit par un redéploiement de la puissance publique dans l’économie, avec les décisions arbitraires que cette présence peut impliquer.
Article publié le 19 janvier 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L’actualité de la semaine