CitationLes autorités continuent d'avoir une approche mesurée, afin de ne pas retomber dans les travers ayant justement mené au surendettement de l'économie qui inquiète tant Moody's. Le problème est qu'en annonçant des mesures au compte-goutte, elles donnent l'impression de réagir plus que de planifier, et donc d'avoir sous-estimé l'ampleur du ralentissement.
Enfin, en continuant de cibler une relance par les infrastructures et le crédit, elles ne s'attaquent toujours pas au cœur du problème chinois qui se situe chez les ménages. Tant que le choc positif de confiance qui les fera reprendre le chemin de la consommation n'aura pas eu lieu, il sera difficile de regarder la Chine avec des yeux optimistes.
Les dernières données d’activité tombées la semaine dernière sont venues conforter la décision de l’agence Moody’s – qui a abaissé la perspective de la notation souveraine chinoise de « stable » à « négative ». Elles sont le reflet d’une économie chinoise tournant en dessous de son potentiel de croissance et engluée dans ses problèmes structurels, en particulier dans le secteur immobilier.
Le piège de la déflation
S'il ne fallait retenir qu'un chiffre, ce serait celui de l'inflation : avec une contraction de l'indice des prix de 0,5% en novembre, la Chine s'enfonce un peu plus dans la déflation. Bien que les prix soient surtout tirés à la baisse par les composantes volatiles (énergie et alimentation) et que l'inflation sous-jacente demeure légèrement positive (0,6% en novembre en glissement annuel), ils sont le reflet de la faible demande domestique et du comportement attentiste des ménages, qui continuent de privilégier l'épargne de précaution plutôt que la consommation.
Si les ventes au détail ont autant accéléré en novembre (+10,1% en g.a.), c'est uniquement parce qu'elles ont bénéficié d'un effet de base très positif. Et encore, elles ont déçu le consensus, qui les attendait plutôt autour de 12%. En 2022 à la même période, la Chine connaissait en effet une vague de Covid de grande ampleur, qui avait lourdement pesé sur l'économie, avant que le gouvernement ne se résigne à abandonner définitivement la stratégie zéro-Covid qui avait tant pénalisé l'activité.
Sur les deux dernières années, les ventes au détail n'ont progressé que de 2,7%, soit à un rythme bien plus lent que celui de la croissance totale de l'économie.
Si la déflation est aussi dangereuse, c'est parce qu'elle ancre des comportements de consommation chez les ménages, qui prennent l'habitude de différer leurs achats dans l'attente de baisses de prix, ce qui a bien sûr une incidence sur la production et la gestion des stocks des entreprises.
En Chine, le phénomène est accentué par le blocage du secteur immobilier. Malgré toutes les mesures mises en place ces derniers mois – assouplissement des conditions d'achat, hausse des crédits, fonds pour les promoteurs, baisse des taux d'intérêt ‒, les indicateurs ont déçu en novembre. Transactions, mises en chantier, permis de construire, prix de vente : tout demeure en contraction, sans réel signe d'amélioration.
Les villes de Pékin et Shanghai ont annoncé de nouvelles mesures de soutien, comme l'allongement de la maturité des prêts et la baisse du taux d'apport obligatoire, mais la crise immobilière se joue surtout dans les villes plus périphériques.
Seule éclaircie dans ce tableau plutôt sombre, la production industrielle rebondit plus qu'anticipé (+6,6% en g.a.). Cette dernière est alimentée non par la demande interne, mais par les exportations, qui ont progressé de 0,5% en novembre, après six mois de baisses consécutives. Si le commerce mondial est plutôt entré dans une phase de ralentissement, après les records des années 2021 et 2022, la Chine bénéficie d'une compétitivité-prix forte, accentuée par un yuan plutôt faible. Ce dernier s'est réapprécié face au dollar depuis quelques semaines, sous l'impulsion des interventions de la banque centrale chinoise qui cible un taux de change autour de 7,10 CNY pour 1 USD, mais a profité à la Chine. Le niveau des importations (-0,6% en g.a.) reflète quant à lui bien l'atonie de la demande interne.
Cap sur 2024
L'année 2023 se termine, et si la reprise post-Covid a déçu, la cible de croissance fixée « autour de 5% » devrait cependant être atteinte. La question est donc maintenant de savoir quelle sera celle fixée par les autorités chinoises en 2024. Annoncée lors des sessions parlementaires de mars, cette cible fait déjà l'objet de suppositions parmi les économistes. Certains la voient « autour de 5% », afin d'envoyer un signal fort aux acteurs économiques, celui que les autorités seraient prêtes à accentuer leur soutien à la croissance, en débloquant de nouveaux moyens budgétaires. Pour autant, il semble plus probable que le gouvernement privilégie une approche plus prudente et conservatrice avec une cible autour de 4,5%, afin de ne pas prendre le risque politique de passer à côté.
Si le président Xi Jinping a indiqué que la reprise était « encore à un stade critique », et qu'elle demeurait pénalisée par « des facteurs défavorables croissants dans l'environnement politique et économique international », l'heure ne semble toujours pas à un changement radical au niveau des politiques publiques.
Les autorités continuent d'avoir une approche mesurée, afin de ne pas retomber dans les travers ayant justement mené au surendettement de l'économie qui inquiète tant Moody's. Le problème est qu'en annonçant des mesures au compte-goutte, elles donnent l'impression de réagir plus que de planifier, et donc d'avoir sous-estimé l'ampleur du ralentissement.
Enfin, en continuant de cibler une relance par les infrastructures et le crédit, elles ne s'attaquent toujours pas au cœur du problème chinois qui se situe chez les ménages. Tant que le choc positif de confiance qui les fera reprendre le chemin de la consommation n'aura pas eu lieu, il sera difficile de regarder la Chine avec des yeux optimistes.
Article publié le 15 décembre 2023 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine