France – Jusqu’ici tout va bien, ou comment la Banque de France et l’Insee nous invitent à relativiser
CitationFinalement, dans un contexte de guerre commerciale, tout se passe relativement bien jusque-là. Même si les développements politiques pourraient légèrement infléchir la trajectoire de croissance à partir de la fin d’année 2025 avec de possibles effets d’attentisme générés par l’incertitude, ils ne devraient pas en faire totalement diverger. Les effets négatifs sur la consommation et l’investissement privés seraient au moins partiellement compensés par des dépenses publiques moins contraintes (moindre consolidation budgétaire), au vu des derniers développements politiques.
La Banque de France a publié les résultats de son enquête mensuelle de conjoncture le mardi 9 septembre, et l’Insee a publié sa note de conjoncture le jeudi 11 septembre. Les conclusions tirées de ces deux publications sont évidemment intéressantes à plusieurs titres et elles soulignent surtout un certain paradoxe.
La Banque de France a publié les résultats de son enquête mensuelle de conjoncture le mardi 9 septembre, et l’Insee a publié sa note de conjoncture le jeudi 11 septembre. Les conclusions tirées de ces deux publications sont évidemment intéressantes à plusieurs titres et elles soulignent surtout un certain paradoxe. En effet, si le contexte d’incertitude politique commence à se faire sentir dans les réponses aux enquêtes et pourra avoir quelques conséquences macroéconomiques par la suite, l’économie française ne s’en tire pas trop mal jusque-là (comme le soulignait d’ailleurs notre article de la semaine dernière "Petit résumé des indicateurs économiques de l’été"), malgré un contexte international chahuté en 2025.
Dans son enquête mensuelle de conjoncture de début septembre, la Banque de France constate que l’activité a continué de progresser en août, avec une production industrielle qui reste bien orientée, une progression modérée dans les services marchands, et une hausse plus importante qu’anticipé dans le bâtiment. Les réponses des chefs d’entreprise à l’enquête ayant été collectées entre le 27 août et le 3 septembre – soit après l’annonce du vote de confiance par François Bayrou le 25 août et alors que des journées de mobilisation sociale étaient annoncées pour la rentrée – elles sont affectées d’une certaine prudence. Les chefs d’entreprises anticipent ainsi des évolutions contrastées, mais pas de recul généralisé de l’activité en septembre, avec un ralentissement attendu dans l’industrie, un possible repli dans le bâtiment, et à l’inverse une progression dans les services marchands qui pourrait être plus marquée qu’en août. Sur la base des résultats de l’enquête, complétée d’autres indicateurs de conjoncture, l’institution estime que le PIB devrait continuer de croître à un rythme modéré de l’ordre de 0,3% t/t au troisième trimestre.
L’indicateur d’incertitude, construit sur la base des commentaires à l’enquête, bondit en août à un niveau proche de celui atteint lors des élections législatives de l’été 2024, compte tenu de la situation nationale. Autre enseignement de l’enquête, le niveau des stocks de produits finis reste élevé en août, très supérieur à la normale, avec en particulier une hausse marquée dans l’aéronautique qui reflète les décalages entre fabrication et livraison propres à ce secteur. Par ailleurs, le taux d’utilisation des capacités de production de l’ensemble de l’industrie, inférieur à sa moyenne historique depuis mi-2023, se redresse un peu en août à 76% (après 75,5% en juillet), reflétant une hausse de la production mensuelle en particulier dans les biens d’équipement, l’aéronautique et la pharmacie. En outre, le niveau des carnets de commandes s’est redressé dans l’industrie depuis début 2025, il est stable en août à un niveau qui reste toutefois sensiblement inférieur à sa moyenne historique. Il est toujours tiré par le secteur de l’aéronautique, quand les autres secteurs industriels connaissent une dégradation des carnets de commandes depuis le début de l’année. Enfin, les difficultés d’approvisionnement refluent en août à un niveau inédit depuis la crise sanitaire et concernent 7% des entreprises interrogées, et les difficultés de recrutement sont en légère hausse par rapport à juillet, et concernent 19% des entreprises.
Dans sa note de conjoncture, l’Insee a dévoilé sa nouvelle prévision pour l’économie française. Selon l’institution, la croissance s’élèverait ainsi à 0,8% en 2025, soit une révision à la hausse de 0,2 point par rapport à juin. La croissance a en effet surpris à la hausse au deuxième trimestre, à 0,3% (t/t) , portant l’acquis de croissance à l’issue du premier semestre à 0,6% pour 2025. Cette croissance surprise avait été portée par la constitution de stocks, principalement du matériel aéronautique déjà produit ou importé mais pas encore assemblé ni exporté, avec un bond de la production manufacturière en juin. Malgré une certaine morosité ressortant des réponses aux enquêtes de conjoncture, l’activité continuerait de croître à un bon rythme au second semestre, avec une croissance de 0,3% par trimestre.
Du côté des ménages, l’Insee prévoit une hausse de leur consommation de 0,3% par trimestre, après une légère baisse au premier semestre, et ce malgré un repli de leur pouvoir d’achat anticipé au second semestre2. En effet, le pouvoir d’achat des ménages, qui a bien progressé au premier semestre, serait affecté par la baisse des revenus de la propriété, et la hausse des prélèvements fiscaux prévue au second semestre. Au total, le pouvoir d’achat des ménages progresserait de 0,8% en 2025 (après 2,5% l’année précédente). Sur l’année, leur taux d’épargne serait ainsi à nouveau en hausse à rebours des autres pays européens, puisque la consommation des ménages ne progresserait que de 0,5% (après 1% en 2024). Le taux d’épargne des ménages atteindrait donc 18,5%, après 18,2% en 2024. L’investissement des ménages, qui s’est redressé depuis la fin de l’année 2024 avec la reprise du marché de l’ancien (dépenses en services d’agences et de notaires), continuerait de progresser, à hauteur de 0,2% au troisième trimestre puis 0,3% au quatrième trimestre, tiré cette fois par la construction de logements neufs.
L’investissement des entreprises s’est, pour sa part, relativement stabilisé depuis le quatrième trimestre 2024, mais n’a pas redémarré comme dans d’autres pays européens. Au second semestre, il resterait sur sa tendance actuelle, en très légère baisse pour les entreprises non financières (-0,1% chaque trimestre). Sur l’année, il serait ainsi en repli de 0,9% (après -2,4% l’année précédente). En effet, il serait pénalisé par la forte incertitude, relative à la fois au contexte international et à la politique française. L'investissement serait influencé par deux facteurs opposés : il bénéficierait d’une part de conditions de financement externe plus favorables grâce à l'assouplissement monétaire passé, et serait freiné, d’autre part, par une baisse de la capacité d’autofinancement des entreprises, conséquence de l'augmentation antérieure des charges d'intérêts (aggravée pour les grandes entreprises fin 2025 avec la surcote d'impôt sur les sociétés). Le taux de marge des sociétés non financières (SNF) diminuerait de 1,2 point en 2025, à 31%, soit proche de son niveau de l’année 2019. La hausse de la productivité compenserait l’effet de l’augmentation des salaires réels sur le taux de marge, mais la dégradation des termes de l’échange (surtout pour les électriciens et les transporteurs maritimes), la hausse des cotisations patronales et les impôts et subventions pèseraient sur le taux de marge.
Les dépenses de consommation des administrations publiques ralentiraient à peine sur l’ensemble de l’année, à 1,3% en 2025 après 1,4% en 2024. Leur investissement se replierait en revanche de 1,5% (après +4,7% l’année précédente), un recul plus précoce que d’habitude avant les élections municipales de 2026. Au total, la demande intérieure hors stocks participerait à la croissance annuelle à hauteur de 0,4 point en 2025 (après 0,6 point en 2024).
Compte tenu de livraisons attendues de matériel aéronautique (déjà produit mais non encore exporté) et d’un navire de croisière en fin d’année, les exportations françaises accélèreraient nettement au deuxième semestre (+1,4% au troisième trimestre et +2,6% au quatrième trimestre, après +0,5% au deuxième trimestre). Les importations progresseraient faiblement (+0,3% au troisième trimestre puis 0% au quatrième trimestre). Les mouvements sur les exportations s’accompagneraient donc d’un phénomène de déstockage en fin d’année, avec des variations de stocks qui pèseraient comptablement sur la croissance et compenseraient en grande partie la contribution positive du commerce extérieur. Sur l’ensemble de l’année 2025, le commerce extérieur amputerait la croissance de 0,5 point après une contribution positive de 1,3 point à la croissance en 2024, et les variations de stocks la stimuleraient de 0,9 point après avoir pesé sur la croissance à hauteur de 0,8 point l’année précédente.
L’emploi se stabiliserait globalement au deuxième semestre 2025, avec un très léger repli possible au troisième trimestre (-0,1%) lié à une baisse des embauches d’alternants en septembre, dans un contexte de baisse des soutiens publics. Le taux de chômage serait stable au troisième trimestre avant d’augmenter très légèrement au quatrième trimestre (+0,1 point), à 7,6% de la population active.
Les résultats de l’enquête de la Banque de France laissent à penser que la croissance devrait rester assez soutenue au troisième trimestre, avec des stocks importants qui ne diminuent pas. L’Insee, sans afficher d’optimisme patent dans son narratif, semble également relativement confiant sur la trajectoire de l’économie française à court terme dans ses prévisions. Finalement, dans un contexte de guerre commerciale, tout se passe relativement bien jusque-là. Même si les développements politiques pourraient légèrement infléchir la trajectoire de croissance à partir de la fin d’année 2025 avec de possibles effets d’attentisme générés par l’incertitude, ils ne devraient pas en faire totalement diverger. Les effets négatifs sur la consommation et l’investissement privés seraient au moins partiellement compensés par des dépenses publiques moins contraintes (moindre consolidation budgétaire), au vu des derniers développements politiques.
La suite, surtout pour les finances publiques, dépendra des développements à venir, et en particulier de l’adoption d’un budget pour 2026 : le futur gouvernement Lecornu arrivera-t-il à boucler une copie d’ici la mi-octobre3, ce qui permettrait in fine une adoption avant la fin de l’année ? Sinon, une loi spéciale devra être adoptée, en attendant le vote d’un budget début 2026. Dans tous les cas, arrivera-t-il à rassembler et à faire passer le texte sans être renversé ?
Nous tablons pour l’instant sur des économies budgétaires qui pourraient s’élever à environ 28 Mds€ - 29 Mds€ par rapport à un scénario à politique inchangée, ce qui correspondrait selon nos prévisions à un déficit public de 5,3% du PIB en 2026 (après 5,6% en 2025). Ce scénario "central" (à ce stade) est compatible avec un scénario de budget 2026 voté avant la fin de l’année 2025, ou avec un scénario de loi spéciale puis d’un budget 2026 voté en début d’année prochaine. Les économies budgétaires retenues sont sensiblement inférieures aux 43,8 Mds€ d’économies proposées dans le plan Bayrou, mais supérieures à celles issues de la proposition du Parti socialiste (21,6 Mds€ d’après eux). Elles nous semblent d’une ampleur plausible, alors qu’il faudra faire certaines concessions vis-à-vis du PS pour espérer un vote du budget (ou une absence de censure). Revenir sur la mesure de suppression de deux jours fériés représente à elle seule 4,2 Mds€.
- Pour comparaison, dans le même temps, l’Allemagne enregistrait une contraction de 0,3% de son PIB au deuxième trimestre.
- L’Insee explique que les ménages lissent en effet leur consommation face aux fluctuations de l’impôt sur le revenu, et que les revenus de la propriété ne sont traditionnellement pas consommés.
- La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit en effet un délai de 70 jours d’examen par le Parlement.