CitationBassirou Diomaye Faye arrive au pouvoir dans un environnement national troublé et un contexte international marqué par de nombreuses tensions économiques et géopolitiques, alors que le Sénégal s'apprête à amorcer une phase stratégique de son développement et à devenir un producteur de pétrole et de gaz, après la découverte de gisements dont l'exploitation devrait soutenir à la hausse la croissance du pays à des niveaux encore inégalés selon le FMI (9,2% en 2024).
Après plus d'un mois de tensions à la suite de la décision du président Macky Sall (2012-2024) de reporter l'élection présidentielle, déclenchant une vague de manifestations dans tout le pays, Bassirou Diomaye Faye est devenu le plus jeune président de l'histoire du Sénégal.
Après plus d'un mois de tensions à la suite de la décision du président Macky Sall (2012-2024) de reporter l'élection présidentielle, déclenchant une vague de manifestations dans tout le pays, Bassirou Diomaye Faye est devenu le plus jeune président de l'histoire du Sénégal.
Inédite du fait des invalidations controversées de candidatures, les soupçons de corruption au conseil constitutionnel et le report sine die du scrutin : l'élection le fut aussi par sa forme. Pour la première fois depuis l'indépendance du pays en 1960, un président sortant n'était pas candidat à sa succession.
D'où l'apparition, lors de ces élections, d'une nette polarisation du paysage politique sénégalais autour des deux candidats : Amadou Ba, candidat de la coalition au pouvoir, et Bassirou Diomaye Faye, ex-Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité) et dauphin de l'opposant Ousmane Sonko déclaré inéligible. L'un étant partisan d'une continuité du mandat de Macky Sall, l'autre, d'une rupture franche.
Quel bilan pour Macky Sall ?
Après douze ans à la tête du pays, le bilan de Macky Sall reste mitigé. Ses mandats furent marqués par des investissements massifs dans les infrastructures qui, en ce sens, laisseront une trace visible dans le paysage sénégalais. En effet, les constructions de trains, d'aéroports, d'autoroutes, d'hôpitaux ou de stades ont permis au pays d'enregistrer des avancées considérables.
Il œuvra également à une transformation profonde du secteur énergétique, permettant au Sénégal de tripler ses capacités électriques et de disposer d'un solide réseau de lignes électriques permettant, par exemple, au taux d'électrification rurale de passer de 27% en 2012 à 61% en 2024.
Néanmoins, son bilan reste entaché par une forte hausse de l'encours de la dette publique, du chômage et de l'inflation, qui continue de peser sur le pouvoir d'achat des populations.
De plus, Macky Sall sort par la « petite porte ». Accusé de dérive autoritaire à la suite de sa décision de reporter les élections présidentielles, les événements qui s'en sont suivis n'ont fait qu'obscurcir une image déjà brouillée par l'ambiguïté longtemps entretenue sur son désir de briguer un troisième mandat.
Au-devant de ce constat, Bassirou Diomaye Faye se présente comme un candidat de « rupture ». Chef de file, selon son mentor Ousmane Sonko, « d'une nouvelle génération d'hommes politiques en Afrique de l'Ouest », Bassirou Diomaye Faye fut déclaré, cette semaine, vainqueur de l'élection présidentielle avec plus de 50% des voix dès le premier tour : une issue pour le moins inattendue.
Emprisonné pendant près de onze mois à Dakar avec Ousmane Sonko pour « atteinte à la sûreté de l'État », ce dernier n'avait aucune expérience électorale avant d'être libéré, dix jours avant la tenue des élections, suite à la promulgation de la loi d'amnistie adoptée par l'Assemblée nationale sur « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu'à l'étranger, se rapportant à des manifestations ou des motivations politiques ».
Ainsi, les sorties de prison de dernière minute d'Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye, conjuguées au soutien inattendu de Karim Wade, fils de l'ancien président Abdoulaye Wade (2000-2012), ont conféré une avance considérable au camp d'opposition que personne n'avait vu venir, poussant Amadou Ba, Macky Sall et de nombreux chefs d'États étrangers à le féliciter alors que les résultats officiels n'étaient pas encore rendus publics.
Quelles perspectives avec Bassirou Diomaye Faye ?
En opposition à Macky Sall, Bassirou Diomaye Faye dit vouloir lutter contre « l'hyper-présidentialisme » et apporter certaines réponses aux différents enjeux socio-économiques du pays.
D'un point de vue économique, Bassirou Diomaye Faye promeut « un modèle économique endogène d'industrialisation par substitution aux importations pour parvenir à une économie efficace et résiliente fondée sur une gestion transparente des finances publiques ». La création de pôles économiques régionaux, le développement et le renforcement des infrastructures économiques, la préférence nationale et la consommation locale constituent les autres points de son programme économique.
Par ailleurs, plusieurs mesures phares de son programme, à savoir la renégociation des contrats d'exploitation des hydrocarbures, la renégociation des contrats de défense ainsi que la sortie du franc CFA risquent d'être sources d'enjeux prochainement.
Insistant sur les notions de « souveraineté nationale » et de « patriotisme économique », Bassirou Diomaye Faye a, en effet, répété à maintes reprises sa volonté de renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers conclus avec des compagnies étrangères ; son souhait de s'ouvrir à divers partenariats sur le plan sécuritaire alors que la sous-région est clivée entre les tenants de la continuité dans les relations avec la France et les partisans de la rupture au profit de la Russie ; ainsi que son ambition d'abandonner le franc CFA au profit d'une nouvelle monnaie « nationale ».
Notre opinion
« Modèle démocratique » habituel en Afrique de l'Ouest, le Sénégal fut un temps plongé dans l'inconnu, à la suite du report brutal des élections présidentielles.
Dans cette perspective, Bassirou Diomaye Faye arrive au pouvoir dans un environnement national troublé et un contexte international marqué par de nombreuses tensions économiques et géopolitiques, alors que le Sénégal s'apprête à amorcer une phase stratégique de son développement et à devenir un producteur de pétrole et de gaz, après la découverte de gisements dont l'exploitation devrait soutenir à la hausse la croissance du pays à des niveaux encore inégalés selon le FMI (9,2% en 2024).
Au-delà des propositions de réformes citées, les questions de la réhabilitation des institutions, de l'allègement du coût de la vie, de l'intégration régionale ou du rééquilibrage des partenariats internationaux sont autant d'enjeux intérieurs et extérieurs auxquels le nouveau président devra faire face alors que son camp politique est minoritaire à l'Assemblée nationale et que le pays bénéficie encore d'un programme de soutien économique du FMI.
Article publié le 29 mars 2024 dans notre hebdomadaire Monde – L'actualité de la semaine